Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/127

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— Aimée, lui dis-je, c’est le feu ! Nos hommes brûleraient-ils Avranches pour ravoir Des Touches ? Il vaut bien Avranches ! Ce serait beau !

Nous écoutâmes… et, pour cette fois, nous crûmes entendre, mais nous avions la tête montée, des cris indistincts, et comme une masse de sons confus qui seraient sortis d’une ruche immense ! Mon oreille de chouanne exercée, car j’avais déjà fait la guerre et je me connaissais à la musique de la poudre, cherchait à distinguer les coups de fusil sur la basse continue de ce grand tumulte éloigné et assourdi par l’éloignement ; mais, tonnerre de Dieu ! je n’étais sûre de rien… Je ne distinguais pas ! Je m’étais penchée sur la plate-forme ! J’avais mis la tête hors de mon capuchon granvillais, que j’avais pris contre le froid de la nuit pour monter si haut, et tête nue, l’oreille au vent, l’œil à la flamme qui se réverbérait en tons d’incarnat dans les nuées, calculant que si c’était Avranches qui brûlait, dans deux heures, pas une minute de plus, le temps juste pour revenir à Touffedelys, ils y seraient de retour, vainqueurs ou vaincus, je le dis vivement à Aimée…

« J’avais calculé avec une précision militaire. Juste deux heures après…, nous haletions toujours sur notre plate-forme, et nous voyions