Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/145

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femmes qui s’agitaient là, et qui, à eux seuls, de leur pression et de leur poids, pouvaient écraser cette poignée de chouans. Les Douze, ou plutôt les Onze, car Vinel-Royal-Aunis était à la prison, les Onze qui semblaient un tourbillon qui tourne au centre de cette mer humaine dont ils recevaient la houle au visage, les Onze, ramassés sous leurs fouets et sous le moulinet de leurs bâtons, avaient bien calculé. Ils abattaient autour d’eux ceux qui les poussaient et qui leur rendaient coup pour coup…

Partout ailleurs, ce n’était dans ce champ de foire qu’un désordre sans nom, un étouffement, l’ondulation immense d’une foule, au sein de laquelle, affolé par les cris, par le son du tambour, par l’odeur du combat qui commençait à s’élever de cette plaine de colère, quelque cheval cabré montrait les fers de ses pieds par-dessus les têtes, et où, çà et là, des troupes de bœufs épeurés se tassaient, en beuglant, jusqu’à monter les uns sur les autres, l’échine vibrante, la croupe levée, la queue roide, comme si la mouche piquait. Mais à l’endroit où les Onze tapaient, cela n’ondulait plus. Cela se creusait. Le sang jaillissait et faisait fumée comme fait l’eau sous la roue du moulin ! Là on ne marchait plus que sur des corps tombés, comme sur de l’herbe, et la sen-