Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/216

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allions avoir tout à l’heure un bien autre tragique sous les yeux !

Le meunier s’était évanoui sous les serres de Des Touches. — Son sang, — c’était comme un tonneau plein jusqu’à la bonde que cet homme apoplectique, — son sang l’étouffait, mais il vivait sans connaissance et le chevalier Des Touches, qui connaissait la proportion de la force de son effort à la force de son ennemi, le chevalier des Touches savait que cet homme immobile vivait…

— Messieurs, dit-il, c’est le traître, c’est le Judas qui m’a livré aux Bleus ! Tout ce qui a été massacré à Avranches, Vinel-Aunis probablement tué, M. Jacques, frappé cette nuit et enterré par vous ce matin, et quinze jours où ils m’ont fait boire l’outrage comme l’eau et dévorer comme du pain les plus infâmes traitements, tout cela doit être mis au compte de cet homme que voilà, et dont le supplice m’appartient… »

Nous écoutions, croyant qu’il allait faire appel à nos carabines, mais il tenait toujours, dans ses mains fermées, le cou de cet homme, dont le corps pendait sur le sol et dont il avait la tête énorme appuyée sur sa cuisse, comme si c’eût été un tambour.

— Messieurs, reprit-il, il avait peut-être, avec la lucidité du sang-froid qu’il gardait au