Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/237

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daigne réfugié à Gagliari, auprès de l’empereur de Russie, Joseph de Maistre fut pendant dix-sept ans en proie aux plus cruelles détresses, ce qu’on ne savait pas et ce que la Correspondance diplomatique a seule révélé.

Comme tout est relatif en ce monde, on peut bien dire que pour un ministre plénipotentiaire Joseph de Maistre mourut de faim dix-sept ans à Saint-Pétersbourg. Dans un pays comme la Russie, où la richesse est plus nécessaire que partout ailleurs, même qu’en Angleterre, Joseph de Maistre ne pouvait payer un secrétaire, et le plus souvent n’avait pas assez d’argent pour prendre une voiture. « On me dit, — écrit-il avec cette philosophie que j’appelle, moi, une sainteté, et qui fut toujours si piquante d’esprit quand elle était le plus touchante de résignation, — on me dit que j’ai de l’esprit, mais je ne puis cependant pas faire avec de l’esprit une berline ! »

Ce Job de la diplomatie savait tenir contre la misère avec la gaité de Beaumarchais, mais il ne savait plus qu’être triste devant l’abandon d’un gouvernement, stupide de cœur comme de tête, qui ne lui donnait ni mission réelle, ni instructions, et, en échange d’admirables conseils demandés pour ne pas les suivre, lui renvoyait d’ordinaire d’ineptes duretés… Ah ! si dans les Mémoires de Lamarck (une révélation aussi comme ces Lettres diplomatiques) nous souffrons amèrement de voir Mirabeau, cette grande canaille de Mirabeau,