Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/87

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l’empire, Kichan, ambassadeur chinois à Lha-ssa, d’être traité dans chaque ville avec bienveillance pendant tout le temps que durerait sa longue odyssée depuis Ta-tsien-Lou jusqu’à Canton. Mais l’expérience de l’Orient lui avait appris qu’il serait mis plus bas que le dernier des bonzes mendiants, et promené d’avanie en avanie, s’il se départait une minute des exigences les plus altières. C’est cette raison qui le fit se montrer toujours en palanquin, dans un costume où les couleurs impériales, le rouge et le jaune, foudroyaient les yeux terrifiés des Chinois. Ce fut cette raison qui le décida à jouer cette grande comédie qu’on peut appeler une comédie de caractère (car il en faut beaucoup pour la jouer), et dont les scènes, multipliées en deux gros volumes, toujours variées et toujours nouvelles, eurent le succès le plus triomphant et le plus complet. Les mandarins les plus fins et les plus fûtes, comme les fonctionnaires les moins sagaces, furent parfaitement dupes de cette excellente mascarade, dont le récit a la grâce d’une ironie pleine de gaîté et dans lequel Huc prend tour à tour les deux voix, — la voix du masque qui fait illusion et la voix vraie qui se moque de l’illusion faite, — et se félicite, avec une bonne humeur si communicative, d’avoir réussi.

La lâcheté, en effet, la lâcheté qui opprime le faible et s’aplatit devant le fort, est le premier trait et certainement le plus profond de la moralité ou plutôt de l’immoralité chinoise. Partout, on le sait, en Orient, la