Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/103

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tout, ne pouvait guères mettre dans sa physionomie de ces effrayants airs de tout comprendre et de pouvoir tout exprimer qu’ont les femmes de cet admirable siècle, si profondément intelligent. Quand le comte d’Anglure l’épousa, elle n’avait fait que lire son office de la Vierge et cultiver des résédas ; et quand il la conduisit dans le monde, ce qu’elle y vit et y entendit n’éveilla point en elle ces facultés dont les prodigieux développements, chez les autres femmes, menacent, si cela continue, de devenir un véritable fléau. Elle n’eut aucune des affectations modernes. Lamartine l’ennuyait sincèrement, et sa loge était souvent vide les jours que Rubini chantait. Elle se contentait d’être le je ne sais quoi de joli, de rond, de gracieux et de parfumé qu’est une femme qui reste femme, — la seule chose que, dans leurs ambitions effrénées, elles oublient de vouloir être maintenant.

Mais si les excellentes amies de la comtesse travaillèrent à lui faire une superbe réputation de sottise et d’ignorance, il leur fallut toutefois reconnaître que cette petite et insignifiante personne n’était pourtant ni gauche ni timide, et qu’elle faisait les honneurs de chez elle avec aussi peu d’étonnement que si toute sa vie s’était passée dans ce monde où elle arrivait. Cette jeune fille d’hier avait l’aplomb du nom qu’elle portait. Elle qui n’avait jamais vu que quelques curés de campagne et quelques gentilshommes