Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/178

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tant avec une telle éloquence ? N’y a-t-il pas aussi dans son livre des pages qui attestent qu’elle sent profondément les beautés de la nature ? N’est-ce pas quelque chose, cela ? n’est-ce pas de l’amour après tout ? Et qu’importe ce qu’on aime, si on aime ? Ô mon Dieu ! mon Dieu ! toute la question c’est d’aimer ! Ne disait-on pas dernièrement que cette femme qui a fait ce livre avait le projet d’entrer dans un cloître ? Il y a donc en elle ou des idées qui l’exaltent encore, ou des lassitudes qui entrevoient la possibilité d’un repos ! Mais moi, mais nous, mon ami, qu’avons-nous ? Qu’est-ce qui nous console ? Qui occupe notre vie ? Qu’aimons-nous ? L’idée de Dieu nous laisse froids ; la nature nous laisse froids ; nous n’avons que l’esprit du monde, du monde qui n’a pas un intérêt vrai à nous offrir, et à qui nous n’avons rien à préférer. Esprits bornés, natures finies, c’était pour nous que l’amour devait être la grande préoccupation, la grande affaire, le grand enthousiasme de la vie, et l’amour, dans nos âmes glacées, n’a été qu’une fantaisie sans émotion ou sans noblesse, — et quand il s’est agi de nous, Raimbaud, un avortement en amitié.

« Ah ! maudit cœur, maudits organes ! — ajouta-t-elle avec un mouvement de rage ; et, se jetant au cou de Raimbaud, pour la première fois, naïve et hardie comme une femme aimée