Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/52

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tous, Maulévrier devait être un homme à passion romanesque et profonde. Il passait pour passionné comme il passait pour supérieur, sans avoir jamais fait pour cela que se donner la peine de naître et d’avoir des yeux noirs assez beaux.

Dans ces dispositions mutuelles l’un vis-à-vis de l’autre, ils ne tardèrent pas à vivre sur ce pied d’intimité qui précède les aveux et les autorise entre gens qui ne sont plus des enfants, et qui sont libres de disposer de leurs sentiments et de leurs heures. Le mari de Mme de Gesvres ne bougeait de Russie, et quant à l’esclavage de M. de Maulévrier et à son amour pour Mme d’Anglure, tous les jours cette chaîne et cet amour allaient diminuant. Comme celle-ci vivait tranquillement à la campagne, croyant à l’antipathie de son amant pour son amie, et à un amour qui depuis un temps immémorial ne lui renvoyait qu’une seule lettre pour une douzaine, ils avaient toute facilité pour s’adorer et pour se le dire. Quoique ce fût à Paris, rue Royale, et dans un boudoir qui n’avait jamais été un désert, ils pouvaient cependant se créer une solitude aussi grande que celle de Juan et d’Haïdée aux bords des mers méditerranéennes.

Malheureusement, le Juan était un gentilhomme accompli qui savait son Byron par cœur, et qui avait passé sa jeunesse à faire une