Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est vrai, mais qu’elle avait toujours trouvé prêt à recommencer la bataille, ce grand duel que les lois du monde font de l’amour, cessa enfin. Où ils avaient lutté, ils se reposèrent.

Elle ne se livra pas davantage, mais Maulévrier, la voyant si désarmée, put croire qu’elle était plus à lui. Nulle idée de salon, nul sentiment de vanité ne vinrent jeter leur ombre sur cette phase d’une liaison qu’à l’origine de pareilles idées, de pareils sentiments avaient malheureusement compliquée ; ils vécurent à côté de leurs habitudes.

Leur intimité n’eut ni petites ruses ni déchirements. Ce fut de l’intimité rare, grave, profonde, où les esprits s’intéressaient l’un par l’autre, où les cœurs cherchaient ardemment à se toucher ; de l’intimité qui devrait suffire à la vie d’êtres distingués et intelligents, si la vie n’avait de ces soifs folles qu’une telle intimité n’étanche pas.

« Qu’elle croie en moi et à mon amour, elle qui voudrait si bien y croire, — se disait M. de Maulévrier, — et je touche au bonheur suprême. » Et plein d’espérance depuis la lettre qui avait daté le changement de langage et de façons dans Mme de Gesvres, il cherchait, par tous les moyens qui sont à la disposition d’un homme spirituel amoureux, à la convaincre de son amour. Malheureusement, au dix-neuvième siècle, ces moyens ne sont pas en grand nombre.