Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/104

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une femme, et qui peut tomber sur nos cœurs, n’est en Mme Stern. Y ont-ils été jamais ? Pour ma part, j’en doute. Mais s’ils y ont été au temps orageux des folies, comme dit la romance de Julie Candeille (un autre bas-bleu), elle les aura éteints pour se faire plus homme ; pour penser plus en homme, pour s’insensibiliser mieux en homme ; car être homme, être homme à tout prix, voilà l’idée fixe dans ces cerveaux femelles ! Voilà quel a été certainement pendant toute sa vie l’effort de Mme Stern, ce bas-bleu acharné, renégat de son sexe ! Ah ! nous n’avons pas affaire ici à un bas-bleu de petite encolure, à un bas-bleu à petits vers, à petits romans, à petites comédies minaudées dans les salons, les soirs où l’on y trissotine. Mme Stern n’est pas de cette petite espèce dont le bas-bleuisme frivole n’est qu’une vanité de plus parmi les vanités des femmes ; une bague de plus, — saphir ou turquoise, — qu’elles font chatoyer parmi les autres bagues de leurs doigts. Il y a des bas-bleus très-coquets, qui tirent très-bien leurs bas sur des jambes ravissantes ; mais Mme Stern devait porter les siens triboulés ou à l’envers comme La Fontaine, non par distraction, mais par une superbe et intellectuelle non-curance ! Le bas-bleuisme de Mme Daniel Stern n’est pas de la coquetterie, mais de l’orgueil, et il a toute la maussaderie de l’orgueil. Jamais, de fait, dans toutes ses œuvres, une phrase agréable, pimpante ou négligée, souriante ou touchante, a-t-elle échappé à cette femme, correcte de style comme de visage, mais qui n’a pas plus d’agréments, Dieu me damne ! que M. Guizot ? Dans cette Histoire des Pays-Bas, qui rappelle les histoires de cet historien, si gravement terne, et où il se trouve trois ou quatre grandes figures qu’elle devrait aimer et trois ou quatre autres qu’elle devrait haïr et qu’elle décrit sans émotion quelconque, a-t-elle, une seule fois, accouché, frémissante, d’une page chaude ?… C’est que, systématique ou naturelle, cette absence de couleur et de vie est pour elle quelque chose de bien plus mâle que