Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/117

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si elle l’est de secte. Talent très-féminin, qui touche et qui sait plaisanter, et qui doit cacher une charmante femme, supérieure de sa personne à son talent, quand il y a tant de gens qui de leurs personnes sont plus petits, elle a l’enjouement, comme elle a les larmes, comme elle a le feu, — le feu sacré, l’étincelle pour l’encensoir. Assurément elle a dans l’esprit trop de grâce (c’en est une, en attendant l’autre) pour être jamais puritaine.

Lord Byron ne se serait pas moqué de sa sainteté, à celle-là, et qui sait ? peut-être aurait-elle ramené à Dieu le grand poëte. Lorsque dans ce livre, qui ne dogmatise pas, qui ne prêche pas, qui ne professe pas, elle fait, par hasard ou par habitude, un petit mouvement protestant, elle le rend si joli, par ce qu’elle y met, qu’on le lui pardonne. Ainsi, dans sa nouvelle intitulée l’Hégélien, la protestante s’échappe dans l’exhibition de la Bible qu’elle donne à ce beau capitaine, — rouge d’idées comme de barbe, — qui n’a plus que la religion de M. Hegel et qui se prépare à devenir un Robespierre, mais voyez ce qu’elle y ajoute !

« Je me risquai, dit-elle avec un petit roucoulement d’ironie qui lui sied, à faire une chose que le monde élégant trouve essentiellement ridicule, puritaine même, c’est tout dire ! Je pris mon livre des Évangiles et je le lui donnai. » Certes, le geste est protestant, mais la manière dont elle raconte qu’elle le fit, l’est-elle ? N’est-ce pas spirituel et de la meilleure plaisanterie ? Jamais, n’est-il pas vrai ? on ne croirait que la femme qui se moque ainsi du monde élégant avec une légèreté, pour le moins égale à la sienne, soit cependant de la même religion que miss Edgeworth ou Mme Necker ?…


V


Oui, elle en est. Mais en sera-t-elle toujours ? et sa nature donnée peut-elle rester protestante ? Ardente à Dieu, presque mystique, la femme des Horizons pro-