Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/199

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et c’est elle qui a pu écrire, en se rappelant son pays : « Je suis avec le bon Dieu comme les femmes russes sont avec leurs maris. Plus il me bat et plus je l’aime ! Voilà tout ce que le démon y peut gagner. »

C’est elle qui a dit encore : « Il y a des temps où l’on croirait que le bon Dieu pêche à la ligne, et que le diable, lui, fait les coups de filet. » C’est la plaisanterie de Voltaire, mais retournée de l’autre côté ; ou plutôt ce n’est la plaisanterie de personne, c’est la plaisanterie de tout ce qui sait plaisanter et parler légèrement de choses graves, sans rien diminuer de leur gravité. Toujours, enfin, c’est la femme de bonne compagnie à son aise avec tout, avec ce qu’elle aime comme avec ce qu’elle respecte et qui même se permet de l’être avec Dieu !

Ni toute cette malheureuse et vaine littérature qu’elle avait d’abord absorbée avec une voracité d’engoulevent, dans le temps où elle avait ses trois professeurs allemands à la suite qui la chargeaient de notions inutiles ou de connaissances ridicules, comme on charge de poudre, à l’en faire crever, une pauvre pièce d’artillerie, ni le grand amour de Dieu qui l’atteignit plus tard, cette mâle passion des âmes fortifiées, ne purent lui faire perdre le sexe de ses facultés qui ne furent jamais, Dieu en soit béni ! que des facultés de femme, rien de plus, mais n’est-ce pas assez ?…

Il faut être voué au lieu commun pour répéter, à propos de Mme Swetchine, la phrase immémoriale au double grelot que les sots ne manquent jamais, quand l’occasion s’en présente, de faire tinter dans le vide : « Homme par l’esprit, elle resta toujours femme par le cœur. » Non, le cœur et l’esprit étaient trop spirituels chez Mme Swetchine pour faire cette antithèse de rhétorique si peu imprévue…

Dans les pages que l’on a réunies et qui se sont détachées de sa pensée comme des fruits longs à mûrir, mais mûris enfin, et comme elle l’a dit : « venus sous la neige, » car dans Mme Swetchine c’est encore moins la