Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/218

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pareil nom fraye sa voie au livre. Il lui met une étoile au front, comme la lanterne à la gondole qui passe. Image juste ! car, sans le nom, le livre, inaperçu, passerait.

C’est un livre qui, comme l’auteur, a des ancêtres. Je ne sais point l’âge de Mme Blocqueville, mais elle me fait l’effet d’avoir une bien longue lecture, et peut-être a-t-elle tué sous cette longue lecture quelque petite fleur d’originalité qui voulait naître. Mais, femme en tout (les femmes le sont toujours), elle a été tyrannisée par les souvenirs de son esprit, comme on l’est par les souvenirs de son cœur. Dans son livre, Montaigne, qu’elle aime à l’adoration, cette ogresse de lectures, qui aime tant de choses ! Montaigne exerce une pression immense, et d’autres encore avec Montaigne ! La forme de l’ouvrage est évidemment prise aux Soirées de Saint-Pétersbourg, du grand comte de Maistre ; mais c’est surtout deux femmes, — deux femmes de ce temps, dont Mme de Blocqueville le plus immédiatement relève, Eugénie de Guérin et Mme Swetchine. Les succès de ces femmes ont dû l’empêcher de dormir… même sur ses lectures ! On sait si dans le monde de Mme de Blocqueville, — dans le monde des salons — ces deux femmes sont devenues populaires. Eugénie de Guérin surtout, classique maintenant comme Mme de Sévigné, — car pour la première fois la Gloire, presque toujours aveugle quand elle est contemporaine, n’a pas fait sa bêtise ordinaire de préférer au diamant le strass, parce qu’il est plus gros. Eugénie de Guérin efface Mme Swetchine, dès qu’on la met à côté, comme un brin de génie effacerait tout un paquet de talent, si le talent pouvait être jamais en paquet. Allez, croyez-le : pendant encore bien des années, comme le dirait Stendhal, les femmes tiquées d’écrire se grimeront devant leur glaces en Eugénie de Guérin, et se diront à chaque petite mine artistement exécutée : « Suis-je assez Eugénie comme cela !… » Tous les bas-bleus, et surtout les bas-bleus catholiques, ajusteront leurs bas azur sur le sien, quoiqu’elle n’en porte pas.