Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/240

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d’expression. Il est vrai que ces lettres étaient confidentielles et que ce qu’on y disait était pour le tuyau de l’oreille et non pas pour le porte-voix mugissant… Mais la dame, auteur du livre, n’en a tenu compte. Perfide comme l’onde de Shakespeare, et avide de succès comme la nasse l’est de poisson, elle a, sans se gêner, plaqué les deux lettres du père Didon et de M. Alexandre Dumas à la tête de son livre, ne croyant peut-être pas que ces messieurs pussent avoir, chacun, deux admirations, comme maître Jacques deux casaques : une admiration pour le privé, qui n’était pas une admiration pour le public, — une admiration de par devant et une admiration de par derrière ; — et quoi qu’elle en pensât, du reste, se disant, en se frottant ses petites menottes avec la volupté d’un bon tour : « S’ils ont imaginé que je me contenterais d’une admiration tête à tête, je vais joliment les attraper ! »

Et elle les a si bien attrapés, que le révérend père Didon s’est excusé, avec une humilité très-empâtée d’embarras, vis-à-vis de ses supérieurs ecclésiastiques, de son admiration confidentielle et trahie ; et que M. Alexandre Dumas fils, plus féroce, a procédé avec la furie d’un homme mystifié , en voulant déférer l’indiscrétion de la dame inconnue aux tribunaux… Oui, le croira-t-on ? M. Alexandre Dumas fils, un homme de lettres et un homme du monde, qui devrait avoir assez de fierté et de hautaine indifférence pour endosser la responsabilité de ses opinions devant tous les genres de publics, a fait, nous dit-on, saisir tous les exemplaires où se trouvait sa lettre. Il est devenu aussi bourgeois que Chicaneau, qui était un affreux bourgeois ! Et cette situation irritée et, il faut bien le dire, un peu ridicule, a été encore pour le livre un avantage de publicité. Aussi la première semaine qui a suivi la furie de M. Dumas, susceptible, à lui tout seul, comme une Assemblée nationale, a fait de cet Appel aux femmes un véritable appel au Public ; et ce n’est qu’après