Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/267

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visage, elle devait se faire à elle-même l’effet de quelque Mirabeau, femme et poëte ; — mais pour tout le monde elle resta toujours une plébéienne de son port, une espèce de poissonnière ou d’écaillère superbe, qu’on se représente les poings aux hanches, l’œil allumé, la bouche ouverte à l’invective : vomitoire jaillissant dont le malheureux d’Arpentigny avait senti l’éclaboussure !

Mirabeau, du reste, l’avait préoccupée de bonne heure et cela devait être. Le tempérament de Mirabeau devait faire rêver cet autre tempérament… Le début, dans la prose de Mme Louise Colet, fut une Étude sur la jeunesse de Mirabeau ; mais le Mirabeau de cette étude, fort peu savante, n’est pas le Mirabeau historique ; c’est le Mirabeau romanesque, et ce livre n’est guère qu’un roman. L’auteur n’est pas non plus la madame Colet historique, la Vésuvienne en éruption, qu’elle fut plus tard. Elle n’est encore ici que la toute petite Révoil d’avant le mariage, la petite pensionnaire au corsage plat, aux bras plats, à l’esprit plat, au style plat, à toutes les platitudes, et on ne devinerait jamais que de ce vibrion — de cet insignifiant infusoire sortirait un jour cette organisation turbulente, imprécatoire et spumeuse qui a fait sur tout ce qui fut longtemps sacré parmi les hommes, la Religion, l’Église, la Papauté, les Rois, les anciennes Mœurs, ce qu’elle fit un soir sur la figure du capitaine d’Arpentigny… Tous les ouvrages de cette perdue d’esprit sont là pour l’attester. Depuis les Juifs de la Passion, qui souillèrent le visage divin du Sauveur, on n’avait jamais tant craché.

II

C’est la Révolution qui crachait par sa bouche. Horrible gargouille ! Il n’y avait que la haine révolutionnaire qui pût aller de pair avec la vanité effrénée, dans l’âme de Mme Colet, si on peut se servir de ce mot d’âme, en