Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/28

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plus chétif et de plus pauvre que cette publication sans nouveauté, sans renseignement profond, sans aperçu, sans trace enfin de cette personnalité rayonnante qui fut Mme de Staël. Pas de doute, pourtant, que cette femme, aux relations immenses, et plus Européenne encore que Française, qui touchait aux plus hautes sociétés de son temps et dont l’esprit, tout le temps qu’elle vécut, ressembla à l’urne penchée et bouillonnante d’un fleuve, n’ait laissé derrière elle d’autres lettres que celles qui ont donné sa goutte de vie à ce maigre livre de Weymar et Coppet, mort-né, sans ces lettres !… Pourquoi donc, les autres, ne les publie-t-on pas ?…

Pourquoi Mme de Staël qui, comme Chateaubriand et Balzac, a bien droit à une publication d’ensemble de ses œuvres, est-elle, avec Bonald et Joubert, sur le point de manquer sur la place ? Depuis longtemps elle est livrée aux bêtes de Belgique. On a fait de ses œuvres de petites éditions ineptes, ignobles, honteuses, belges enfin (le mot dit tout), et en France, personne n’a songé à dessouiller son génie de ces porcheries qu’on a osé faire de ses œuvres, en prenant l’initiative d’une édition, digne de leur distinction et de leur beauté !

Non, ni un libraire ! ni personne ! Pour ne pas être tenté de revenir à la vie, quand on est mort, il suffirait de regarder à ses descendants. Les descendants de Mme de Staël sont assez indifférents à sa gloire pour ne pas penser à une édition, de devoir pour eux. Mais Mme de Staël a trop de grâce pour ces puritains !… Eh bien, c’est de cette édition, nécessaire et oubliée, que je voudrais donner l’idée aujourd’hui, en parlant de Mme de Staël, — de cette adorable et admirable femme, à laquelle la littérature féminine n’a rien à comparer dans aucun temps, et surtout dans celui-ci, où les femmes qui se mêlent d’écrire se donnent des airs d’homme si prodigieusement ridicules, que c’est à nous faire prendre des jupons, à nous autres… pour ne pas leur ressembler !