Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/334

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prurit du livre, dont elles sont toutes malades, les femmes du xixe siècle ! Et comme elle ne se sentait pas d’invention dans sa tête de femme, plus faible que puissante, elle a songé naturellement à écrire ce qu’elle voyait dans le milieu militaire où elle vivait par le fait de son mariage, et naturellement encore, elle a écrit les Ménages militaires… Voilà probablement son histoire, dans sa simplicité ! Seulement, ou elle n’a pas écrit ce qu’elle voyait ou elle était trop myope pour voir. Placée par son mariage pour bien observer, elle n’a rien observé du tout… Dans ses Ménages militaires, on cherche la vie militaire, les choses militaires, les mœurs militaires. On les cherche en vain. On ne les y trouve pas. Il y a bien, dans ces romans qui s’appellent pourtant : Le Mariage du trésorier, les Deux Femmes du major, les Filles du colonel, etc., des amours et des mariages, mais qui n’ont rien de caractéristiquement militaire ; — il n’y en a point qui soient marqués de ce cachet qu’en attendait de cette main de femme d’officier. Il n’y a là que des amours et des mariages, comme toutes les femmes conçoivent le mariage et l’amour, dans tous les romans qu’elles écrivent sur ces deux éternels sujets, les seuls qui fassent rêver leurs chères cervelles ! Assurément, je ne demandais pas à Mme de Chandeneux les Scènes de la vie militaire que Balzac aurait élevées, lui, jusqu’au champ de bataille, jusqu’à l’Histoire, jusqu’à l’Épopée. Je ne lui demandais pas davantage les observations et les contemplations sublimes d’Alfred de Vigny, dans son chef-d’œuvre de Grandeur et Servitude militaires. J’ai trop pesé la petite main des femmes pour supposer qu’elles puissent jamais soulever le pinceau des Gros et des David, écrasant pour elles. Mais le tableau de genre est à leur portée, et le titre de : Ménages militaires, dans sa bonhomie, nous promettait des intérieurs. Malheureusement Mme de Chandeneux n’est pas plus apte aux peintures recueillies et profondes qu’aux peintures éclatantes et grandioses. Les amoureux de ses romans