Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/338

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bleue ! Elle croit que tout est dans la culture de l’esprit ; qu’avec de la pisciculture intellectuelle, on ferait des têtes de femme, des têtes d’homme, comme on fait des huîtres ; et cela pourrait bien être, puisque je me suis laissé dire que les huîtres étaient un mêli-mêlo des deux sexes ! Elle a trop de goût certainement pour pétarder des théories ; mais elle en a une cependant et on la devine sous ce qu’elle dit, comme on sentirait un parfum sous la peau de son manchon. Dans un autre petit coin de ses livres, elle se plaint de l’infériorité cérébrale que ces malhonnêtes d’hommes attribuent à la femme. Elle n’insiste pas, mais elle est vexée… Et puis elle a de ces langages qui disent tout. Elle « formule des compliments ; elle formule des impressions renaissantes ; elle formule dans sa pensée des réquisitoires ». Il n’y a qu’un bas-bleu pour formuler autant que cela ! Ce sont là des taches de bleu dans la langue, — des meurtrissures. Malgré ces taches de bleu, elle a trop d’élégance, cette aristocratique Mme Claire de Chandeneux, pour jamais parler crûment du « droit des femmes », cette crudité ! pour faire jamais partie de cette jolie société de Tricoteuses bleues, qui l’ont réclamé, avec une insolence bruyante, dans un journal, il y a quelques jours ; mais elle n’en est pas moins pour cela un bas-bleu, et le bas-bleu, à l’heure qu’il est de la littérature, c’est la question et c’est le fléau !

On a commencé par en rire, de cette question des bas-bleus, et il y a encore des gens qui en rient, car il y a toujours des gens qui rient. J’en ai vu au chevet des mourants. Mais la chose qu’on appelle le Bas-bleu n’en va pas moins son train dans cette société, chez laquelle le rire, ce monarque absolu autrefois, n’est pas plus puissant que les autres monarques ! Nous nous sommes moqués du bas-bleu, même bien avant qu’il eût un nom dans notre pays, et nous nous en moquions encore, il n’y a pas bien longtemps, sous Louis XIV et sous Molière. Mais voici que, de nos jours, de nos tristes