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II


C’est un livre, allez ! qui en étonnera plus d’un. Cela n’a l’air de rien du tout ; c’est une bagatelle en apparence, faite avec des centons de préface, avec des morceaux détachés, jetés ici et là, et ramassés par une main qu’on ne croyait pas si prudente ; mais c’est très-gros de visée. C’est un livre qui nous apprend de singulières nouvelles et qui affecte de singulières prétentions. Mme George Sand prend, les uns après les autres, la plus grande partie de ses romans et sur tous elle écrit, quelquefois avec une brièveté d’oracle, ce qu’il faut penser littérairement ou moralement (moralement surtout !) de chacun de ces romans fameux. Elle fait pour la Postérité, sans doute, ce que fait Chicaneau dans les Plaideurs, par le soupirail de la cave :

… Il s’en va lui prévenir l’esprit !

Elle prévient l’esprit à la Postérité contre la Critique qui, — dit-elle, — l’a calomniée ; qui a toujours attribué à ses ouvrages une influence et une intention qu’ils n’ont pas. La voilà tout à coup devenue bien modeste ! Si au lieu d’être en France, nous étions en Angleterre, le pays du cant où il faut toujours se mettre en mesure vis-à-vis de la morale publique, sous peine de sentir sa vie atteinte et déchirée aux endroits les plus sensibles par une opinion implacable, qui n’a point autrefois pardonné à Byron, qui ne pardonne pas aujourd’hui à Charles Dickens, je concevrais la tentative de Mme George Sand, qui cependant, en Angleterre, ne réussirait pas. Je la concevrais. Elle n’est plus jeune. Elle voudrait mourir tranquille. Elle se soucie plus de tranquillité que de vérité… Mais nous sommes en France, dans un pays qui lui a laissé parfaitement tout dire, pendant trente ans, depuis Indiana jusqu’à ses Mémoires, et qui