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idées sociales à faire triompher, écrivant des romans comme Rousseau pour prêcher et enseigner quelque chose ; espérant arriver à soulever par l’imagination, cette grande force, tous les sentiments de la vie contre la Loi et l’Opinion, — ces choses mal faites. Vous avez cru enfin que j’étais l’ennemie du mariage tel que l’a conçu et réalisé le Catholicisme, cette vieille sottise que j’insulte le plus que je peux partout, même dans ce livre que je vous présente, et que j’avais de l’union de l’homme et de la femme une notion plus libre… Eh bien ! après trente ans d’illusions, entretenues par moi, je viens vous dire que cela n’est pas. Je vous ai mystifiés vous-même. Je n’ai pas tant d’esprit que cela. Je n’en ai jamais vu ni voulu si long. Je suis une naïve femme de génie, qui donne des romans comme le pêcher donne des fleurs roses, comme La Fontaine donnait des fables. J’ai un peu d’utopie dans l’esprit, c’est vrai :

… Qui n’a pas, dans la tête,
Un petit grain d’ambition ?


Mais c’est par amour pour les hommes que j’ai fait des romans, comme c’est par amour pour mes enfants que j’ai fait des comédies ! Je suis une âme simple et sincère ; n’estimant rien que le naturel ; une bergère des Alpes en littérature, un pauvre poëte rêveur, une bonne petite femme artiste, aveugle-née de génie qui n’a jamais su ce qu’elle faisait, quand elle écrivait, et qui n’a jamais visé qu’à être aimable, dût-elle en mourir de chagrin. Tel est le fond et même le texte du livre nouveau de Mme Sand, la romancière, comme La Fontaine était fablier. Telle est l’affirmation soutenue de ce livre qui peut bien passer, ce me semble, pour le dernier de ses romans.

Car je n’accepte pas pour mon compte, et je ne crois pas que les gens de la Libre-Pensée qui ont toujours fait de Mme Sand une espèce d’héroïne intellectuelle, acceptent, pour le leur, ses déclarations du moment…