Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/90

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aux femmes, alors qu’elles ne méritent plus qu’on l’emploie, et l’homme qui renoncerait à s’en servir pour des raisons, fussent-elles excellentes, non-seulement manquerait de savoir-vivre, mais aussi de générosité.

Mme Daniel Stern avait-elle spéculé sur l’embarras dans lequel ce mot de « madame » devant un nom, même faux, jette nécessairement le critique, ou n’avait-elle voulu que se révéler, en se cachant, et jouir du privilège du masque, sans en avoir l’inconvénient ? Mme Stern, tout le monde le sait, était une prêcheuse de liberté. C’était une des séminaristes qui s’exerçaient pour devenir plus tard prêtresses dans une des religions de la République. Le curieux de sa rubrique aurait-il été de préconiser la liberté sans oser la prendre et sans vouloir qu’on la prît avec elle, en faisant la critique dupe ou victime d’une étiquette de bal masqué, qui lui donnait, à elle, toutes les cartes et l’impunité de son jeu ?… Vraiment, c’eût été là peu amazone ! Dans tous les cas, on comprend qu’au moyen âge et chez les Israélites, les déguisements fussent défendus par la loi.

Tout déguisement, en effet, expose deux personnes, celle qui le prend et celle pour laquelle il est pris. Un soir, la plus innocente des femmes a la fantaisie de se couvrir d’un domino, et sous cette armure un peu légère d’un capuchon de satin, de se risquer dans un de ces bals qui sont des arènes où le vice exécute la danse de Saint-Guy qu’il a inventée. La pauvre curieuse étouffe dans son masque, de pudeur outragée, et rentre chez elle, humiliée des langages qu’on a osé lui tenir. Les coureuses de bal masqué philosophique ou littéraire n’ont peut-être pas autant de pudeur à risquer, mais elles ont leur orgueil et elles l’exposent. En les trouvant si parfaitement déguisées et si hommes, on peut leur manquer, — et ce sont ceux qui ne les manquent pas ! Ce sont ceux qui ne croient pas les femmes plus à leur place là qu’ici, — au bal masqué de l’Opéra qu’au bal de la littérature, — et qui souffrent dans la notion pure,