Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/168

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il n’y a pas d’Adam. Mais son primitif, quel est-il ? homme ou enfant, esprit humain, race, et quelle race ou autre chose ? Quoi, enfin ? Il faudrait préciser et définir, et c’est ce que ne fait jamais M. Renan. Il scintille et passe, farfadet verbeux, sur le dos fluant d’un peut-être ou d’un il semblerait, comme on en trouve dans son livre ! Quelle autorité que cet homme !

Inconséquent d’ailleurs autant qu’hypothétique, le fait qu’il érige en fondement de son système, c’est que le langage s’est formé d’un coup, et voilà qu’à la page 175 de son Essai il dit qu’aux époques primitives chacun parlait à sa façon, ce qui était Babel avant Babel, Babel dès la création du monde, mais toutefois sans la confusion et la destinée de Babel. M. Renan finit par s’étrangler dans les nœuds coulants et redoublés de ses hypothèses. Ainsi, il suppose pour un jour à l’homme la puissance de Dieu, déplaçant le miracle pour ne pas voir le miracle. Il fait de ce miracle une loi qui ne se reproduit plus qu’à la charge pour nous de nous retrouver dans la même position exceptionnelle. Paralogisme, tautologie, misérable saut de carpe éternel ! A ses yeux brouillés qui décomposent les choses en les regardant, le mythe, qui est le roman individuel, l’emporte sur l’histoire, qui est le mythe général. Précisez, si vous pouvez, ces nuances. Seulement, si nous devons mépriser l’histoire, combien plus devons-nous mépriser les romans et les conjectures à l’aide desquelles on veut remplacer scientifiquement des traditions avérées qui accableraient, s’il ne fallait pas savoir où prendre un homme pour l’accabler.