Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/269

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ailleurs tous les arguments sont entachés de faiblesse. Ils plient quand on les presse un peu. Même le grand argument invoqué par le P. Daniel, et le meilleur de toute sa thèse : « Que l’homme qui enseigne est plus que l’enseignement, et que là où le maître est excellent, les mauvaises doctrines deviennent innocentes », cet argument n’est pas au fond beaucoup plus solide que les autres, et l’histoire elle-même ne s’est-elle pas chargée de le réfuter ? Certes, s’il fut jamais des hommes dignes de porter dans leurs saintes mains le cœur et le cerveau de l’enfant, ces délicats et purs calices que la vérité doit remplir et qui restent fêlés ou ternis pour toujours, dès qu’un peu de poison de l’erreur y coule, ne sont-ce pas les Jésuites, les pères de la foi, les pères aussi de la pensée, ces premiers éducateurs du monde ?… Eh bien ! Voltaire et le dix-huitième siècle sont pourtant sortis de chez eux ! Nous ne dirons pas qu’ils en soient sortis comme l’enfant sort complet, organisé, achevé, du sein de la mère. Cela ne serait pas vrai et nous n’avons pas besoin d’exagérer la vérité dans l’intérêt de la vérité même. Mais, enfin, l’éducation qui avait suffi jusque-là ne suffisait donc plus pour que Voltaire devînt… ce qu’il est devenu, malgré ses maîtres, et que le dix-huitième siècle fût possible ?…

Nous prions ceux qui séparent la question de l’éducation des besoins et des périls du dix-neuvième siècle, pour ne la considérer que dans la tradition de temps moins menacés et moins à plaindre, de vouloir bien songer à cela.