Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/55

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au rayon visuel qui jaillit du centre de l’œil. C’est lui plutôt, Donoso, qui arrive à l’aperçu, comme à une lumière en dehors de sa pensée, et à force d’aller vers elle, de raisonnement en raisonnement.

On pourrait dire de Donoso Cortès qu’il a de l’aperçu, par développement, tandis que pour de Maistre, l’aperçu poind d’abord et le développement vient ensuite, s’il en est besoin. Pour cette raison même, Donoso Cortès a certainement autant de logique que de Bonald. Il y a plus : on peut affirmer que c’est la logique entre toutes les puissances de son esprit qui lui fait sa supériorité absolue. Il en a les formes rigides et souples, l’enthymème, l’énumération, le sorite. C’est toujours enfin de la pure logique qu’il tire, lorsqu’elle est belle, toute la beauté de sa pensée. Soit donc qu’il fasse acte d’écrivain à tête reposée ou d’orateur s’exprimant dans un parlement, Donoso Cortès est partout et surtout un formidable logicien, et tellement logicien, qu’il ne craint pas d’être scolastique par la forme, car il a assez d’expression à son service pour ne jamais paraître sec.

Il a, en effet, les dons du génie espagnol. Il en a la solennité, qui est l’emphase contenue. Il en a la pompe, l’harmonie, le nombre, la plénitude, la sonorité. C’est un large cours de pensées que ses pensées, enchaînées les unes aux autres comme les flots aux flots, mais auxquelles il faut de la place. Il faut à Donoso Cortès de l’espace pour rouler son fleuve ! Il n’a pas le monosyllabe, la paillette qui fait du fleuve un Pactole, la pointe acérée et étincelante, ce clou d’or, quand il n’est pas de diamant, qu’avait Joseph de Maistre, et qu’il fichait si bien, de sa main spirituelle,