Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/181

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ayant le bonheur d’avoir les mœurs de ses héros et d’être un de ces poètes complets, dont la vie et l’imagination s’accordent, comme le fut Burns, le jaugeur. Mais, hélas ! quelques mots qui sentent leur collège, mêlés à la traduction interlinéaire, bien faite d’ailleurs, et surtout des notes, des notes dans lesquelles nous trouvons des prétentions de linguiste, de la botanique, de l’histoire naturelle et toutes sortes de choses que j’eusse mieux aimé ne pas y voir, ont donné à penser que M. Frédéric Mistral n’est pas si sauvage ni si autochthone que je le voulais. Je l’aurais volontiers rêvé un chanteur solitaire comme ces Rapsodes anonymes de l’autre côté, dont Fauriel nous a traduit les chansons charmantes qui ont tant dé rapport d’accent avec ce chant presque grec de Mirèio. J’en aurais fait un de ces courlieux du rivage dont la Critique n’aurait pas pu dire : « Est-il ignorant ou cultivé ? N’est-ce qu’un patoisant de génie ou réellement sait-il plus de français qu’il n’en faut pour traduire son poëme ? » quand tout à coup il nous a lui-même appris qu’il fait partie d’une littérature ! et, oimè ! d’une littérature provinciale ! Ils ont un cénacle là-bas… On l’imaginait assis sur du varech, ce Théocrite homérique qui « chante cette fille de la glèbe dont en dehors de la Craw il s’est peu parlé » et pas du tout, il fait partie d’un canapé dont il nous nomme les doctrinaires… Le mistral n’est plus qu’un vent coulis ! Cela a été une déception ! Mais, voyez ! cette déception funeste au poète, bien loin d’enlever à son œuvre quelque chose de son prestige ou de sa puissance, a tourné à son profit et fait preuve pour elle. Il faut, en effet, que cette œuvre soit d’une sincérité