Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/183

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sais aussi ce que je viens de voir dans ce poème qui commence comme le jour par les teintes les plus suaves, et, dès le troisième chant, tourne à la force, mais à la force qui reste dans la suavité.

Partout, à toutes les places de son poème, le poète de Mirèio ressemble à quelque beau lutteur qui garderait, comme un jeune Dieu, sur ses muscles, lustrés par la lutte, des reflets d’aurore. Depuis André Chénier, on n’a rien vu, — si ce n’est les Chants grecs publiés par Fauriel, — d’une telle pureté de galbe antique, rien de plus gracieux et de plus fort dans le sens le plus juste de ces deux mots, qui expriment les deux grandes faces de tout art et de toute pensée. Le poète de Mirèio est un André Chénier, mais c’est un André Chénier gigantesque qui ne tiendrait pas dans les quadri où lient le génie du premier. Il y étoufferait. Grec, comme André Chénier, par le génie, l’auteur de Mirèio a sur André, tombé de son berceau byzantin dans le paganisme de son siècle, l’avantage immense d’être chrétien, comme ces pasteurs de la Provence dont il nous peint les mœurs et nous illumine les légendes. A la fleur du laurier rose, aimé de Chénier et cueilli aux bords de l’Eurotas, il marie l’aubépine sanglante du Calvaire.

De race phocéenne et de pays profondément catholique, il bénéficie, dans son talent, de son pays et de sa race, et peut-être, pour cette raison, serait-il difficile à qui ne serait pas de la même terre que lui, — à moi, par exemple, chouette grise de l’Ouest et goéland rauque d’une mer verte, — de préciser avec exactitude à quels endroits du poème en question expire la poésie que M. Mistral n’a pas faite et a quelle