Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/203

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ouvrage intitulé L’Enfer ! L’audace de donner à son poème le même titre que celui du Dante était une raison de plus pour qu’on en parlât. On en a donc parlé, mais légèrement, — trop légèrement, selon nous, avec cette superficialité qui ne voit dans le livre en question qu’une fantaisie tragico-burlesque, un tableau de Callot ou un fragment des sermons du petit père André, mis en vers. On a méconnu le fond terrible et poétiquement incomparable de ce poème. On n’a pas voulu regarder dans quelles sources d’inspiration, méprisées par la génération présente, un poète du XIXe siècle avait eu la hardiesse d’aller puiser, et quelles beautés d’expression et de sentiment il en avait rapportées. On n’a guère aperçu, dans sa tentative, que la gageure d’un esprit ardent et robuste, et l’exécution rhythmique, plus ou moins réussie, d’une idée qui n’est plus de ce temps. Enfin, on n’a vu ni grandement, ni profondément dans cette œuvre, et l’on a cru voir !

En effet, le premier mérite de M. Amédée Pommier, c’est d’avoir touché au sujet le plus difficile et littérairement le plus dangereux, en raison de sa beauté même. Il a deviné la grande poésie cachée dans une conception qui n’a pas eu son poète, car, il faut bien le dire, Dante lui-même ne l’est pas ! Non ! Dante avec tout son génie, avec les influences divinisantes dont le Catholicisme avait pénétré sa pensée, n’est pas le poète de l’enfer chrétien. Ivre d’antiquité comme les autres, Dante nous a donné un enfer de Renaissance, un enfer de mythologie. Ce n’est pas sans dessein qu’il a pris Virgile pour conducteur et pour maître dans ces ombres où l’Énéide