Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/289

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C’est un manteau poudreux fait de loques anciennes,

Troué d’accrocs, cousu de reprises, d’ennui,

Qu’on ne prend pas usé sur l’épaule d’autrui,

Mais qu’il faut user sur les siennes !

Excepté le mot d’ennui, que je ne voudrais pas voir là et qui y fait tache, n’est-ce pas excellent de ton, de simplicité et de mâle tristesse ? M. de Gères, qui a de l’apologue dans la tête, porte jusque dans la mélancolie de l’élégiaque cette virilité. Il est bien moins le poète d’un sentiment trompé ou blessé que le poète résigné à la vie et à tout ce qu’elle renferme d’irréparable. Nous n’avons pas assez de terrain pour citer toutes les pièces qui expriment ce que nous disons là sous les formes les plus variées. Mais voici quelques strophes que nous ne pouvons retenir. Y a-t-il rien de plus achevé dans sa tristesse et de plus fort dans sa douceur ? M. de Gères a le bonheur des titres. La pièce en question est intitulée : On meurt de loin.

L’approche des destins futurs,

L’aurore funèbre et dernière,

Avant l’heure où nos jours sont mûrs,

De sa vigilante lumière

Attise nos esprits obscurs. L’avenir prend de l’importance,

L’horizon paraît s’élargir,

On entend à large distance

La mer éternelle mugir

Sur les rives de l’existence ! De secrets avertissements,

L’intérieure inquiétude,

Quelques symptômes alarmants,

Changent bientôt en certitude

Les sinistres pressentiments.