Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/295

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ces derniers temps, — embesogné d’idéal, mais il est de mesure et de donnée honnête. C’est un poète moral et sobre, vigoureux… de jarret, du moins, qui s’est fait une excellente santé à courir la montagne et qui a bien gagné à la sueur virile de son front, et après tant de courses faites en guêtres, son fauteuil à l’Académie !

Tel est exactement et modestement M. de Laprade. Mais, comme vous le voyez, ce n’est pas du tout par la tournure de sa pensée le génie mi-parti de pasteur et de guerrier qu’il faudrait ici, avec un pareil titre, l’espèce de Guillaume Tell poétique dont le vers serait la flèche, vibrante de rapidité, de fierté et d’indépendance ! Pas plus que M. Autran, qui a osé toucher, lui aussi, dans ses Laboureurs et Soldats, à ce grand sujet, — l’idylle héroïque, — M. de Laprade, l’auteur des Symphonies et d’une foule d’autres poèmes Revue des Deux-Mondes, M. Laprade qui, depuis dix ans, n’a ni renouvelé son inspiration ni modifié sa manière, ne pouvait être au niveau du beau sujet qu’il avait aperçu… de loin.

Et cependant pour être juste, je ne le comparerai pas à M. Autran, à ce petit porteur de briquet, qui rime des historiettes militaires, ornées d’agriculture. M. de Laprade a moins de bonhomie voulue… Sa flèche montagnarde visait sans doute à l’Académie. Il a plus d’élévation soutenue que M. Autran et plus de correction littéraire. Ni l’un ni l’autre de ces messieurs n’a l’intérêt profond et la tressaillante émotion des vrais poètes, mais l’ennui (je demande pardon de la vivacité du terme), l’ennui que répand M. de Laprade dans ses poésies est plus pur et tombe de plus haut.