Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/311

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ses propres yeux et aux yeux encharmés des hommes de son temps, elle était la réalité dont Mme de Staël avait fait le rêve, et elle était davantage encore, elle était les deux rêves à la fois de Mme de Staël, car elle avait le génie de Corinne et la beauté de Lucile Edgermond. Elle a peint ce moment de sa jeunesse dans des vers que M. Théophile Gautier, qui s’y connaît, a bien fait de citer, car ils sont d’une très-belle image et d’un mouvement très-imposant :

Mon front était si fier de sa couronne blonde !

Anneaux d’or et d’argent, tant de fois caressés !

Et j’avais tant d’espoir quand j’entrai dans le monde,

Orgueilleuse et les yeux baissés !

Cet orgueil aux yeux baissés, cette orgueil jeune fille est superbe et n’avait jamais été exprimé d’un trait plus profond et plus vrai… Certainement, rien n’a jamais valu ni pour elle, ni pour personne, ni au point de vue de la galerie et du succès, ni au point de vue de son émotion intérieure, ce moment unique… ce premier coup d’archet de l’ouverture d’une existence qui ressembla, hélas ! bien plus à un opéra qu’à la vie d’une femme, telle qu’elle doit être et qu’on pourrait la désirer. Et aux yeux de la Critique elle-même, aux yeux de la Critique qui vient trente ans après faire tomber de son doigt glacé la poudre rose, or et argent qui saupoudre encore ce que Delphine Gay a écrit, pour voir le vrai de ce qui est tracé sous cette poussière étincelante, ce moment est aussi le meilleur de sa pensée, et ce moment de Delphine Gay, Mme de Girardin a pu le regretter sans cesse, car elle ne le retrouva jamais !