Page:Barbey d’Aurevilly - Les Poètes, 1862.djvu/324

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de renommée d’un autre bohême, auquel on a fait également l’aumône tardive d’un tombeau. Hégésippe Moreau, lui, avec un seul volume qui, certes ! n’a pas de l’originalité à toutes ses pages, mais qui en a une supérieure, quand il en a, Hégésippe Moreau, avec moins même qu’un volume, est entré, pour n’en plus sortir, dans la littérature de son siècle.

Il faudra que la Critique sérieuse de l’avenir compte avec ce Mauvais Garçon… Mort à l’âge où le talent n’est que le bouton entr’ouvert d’une rose qui aurait été délicieuse, si elle se fût épanouie, l’auteur du Myosotis aurait pu être pleuré par un Virgile, et ce n’est pas cependant une simple espérance que Virgile eût pleurée. C’eût été aussi la réalité d’un talent, charmant déjà, tandis que M. Henri Mürger, si on le regrette aujourd’hui, ce n’est pas pour l’espoir qu’il donnait d’œuvres fortes. Il avait quarante ans. Après quarante ans, le talent peut certainement grandir encore, mais ce n’est plus l’âge des Marcellus !

Quant à la réalité exacte du talent qu’il avait, jugeons-la aujourd’hui sans faiblesse, dans le silence qui commence à s’établir autour d’une tombe, bruyante hier. Est-ce parce qu’il fut malheureux qu’on n’oserait plus juger un poète ? … Alors on n’en jugerait plus un seul. Ils le sont tous. Le malheur de la vie des poètes est d’ailleurs toujours le bonheur de leur gloire. Par respect pour la souffrance humaine, au contraire, voyons aujourd’hui si la pauvreté, l’indigence de l’éducation qui fait la virginité du génie, toutes les Cruautés de la destinée, ces nourrices aux mamelles de bronze qui donnent du sang à téter à leur nourrisson et bien souvent ne leur donnent