Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/100

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inventer… pour les domestiques. Ainsi, par ce côté-là comme par l’autre, c’est la paix que M. Jules Sandeau veut et répand, la paix des esprits et des âmes. Du roman, c’est la Vierge sage. Il ne les bouleverse point, il ne les secoue pas, il n’a pas l’intérêt haletant et le pathétique, mais il attendrit dans ses bons moments. Il ne coûte qu’une larme, et pour le gros des yeux, c’est assez.

Tel est M. Sandeau l’académicien, — qui l’était de ton, d’honnêteté, de modération, avant d’être de l’Académie. On l’a loué, et je le loue aussi, d’avoir passé sa vie dans la noble préoccupation du travail, dans le chaste recueillement de l’étude, et de n’avoir jamais demandé qu’à la littérature cette tasse de lait qui manque à tant de soifs, et qui, pour lui, Dieu merci ! s’est changée en jatte abondante. Eh ! que lui fallait-il davantage ? Il n’était pas né véritablement passionné ; du moins, la passion, qu’on ne tue point, quoique nous le disions, stupides vantards ! et qui nous tue plutôt, et qu’on traîne à la tombe, la passion, qui n’eut dans ses écrits qu’une seule page, qui s’appelle Mariana, n’eut peut-être aussi qu’une page dans sa vie.

Rassis promptement, comme toutes les âmes tièdes, d’une grande émotion de jeunesse, il se voua discrètement à des études qu’il avait d’abord partagées, — on sait avec qui, — et il les continua seul. Ce fut son mérite, et cela devint intellectuellement son honneur, de montrer, par une suite d’ouvrages, qu’après la rupture d’une collaboration éclatante, il n’était pas, du coup, entièrement brisé, — qu’il était par lui-même, — qu’il existait, — qu’il avait enfin une individualité littéraire,