Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/255

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terre et d’orgueil pour ne pas vouloir que leur fille épouse un employé de mairie à six cents francs, par cela seul qu’il lui plaît et qu’il est à peu près joli garçon.

Les faits groupés autour de cette donnée ne la rajeunissent pas, ils appartiennent à l’inventaire éternel de tous les romans et de toutes les pièces. Les amants se voient en cachette. L’amant, qui se croit un héros parce qu’il se coupe les mains sur des tessons de verre, saute assez bien les murs du parc. Un portrait photographié (couleur moderne), et qu’on ne peut se pendre au cou comme les médaillons d’autrefois, beaucoup plus commodes, mais qui n’étaient pas à si bon marché, est remis à la mère de Mlle Henriette par un polisson de frère, envieux et sot, mais qui pour le moment fait ce qu’il doit faire : de là l’intrigue découverte et le malheur de Mlle Gérard ! C’est la trente-six millième répétition de celui de toutes les jeunes filles contrariées par leurs parents dans leurs libres inclinations et qui, circonvenues, tourmentées, sacrifiées, épousent enfin, à la place du jeune homme qu’elles aiment, quelque vieil homme riche qu’elles n’aiment pas !

Tel est le sujet du livre de M. Duranty. Je pourrais, au point de vue moral, en dire bien des choses, car, selon moi, ce sujet cache la haine profonde, mais discrète, de la famille chrétienne, telle qu’elle est organisée. Je ne veux pas faire ce procès à M. Duranty ; je ne veux aujourd’hui que parler littérature. Or, littérairement, tous les sujets qui, en nature humaine, ne sont pas faux, sont bons pour le talent qui voit en eux des choses cachées et qui doit les en faire