Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/38

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sans effort son genre de génie et continuer cette plaisanterie de la grande production, qui est l’ébahissement des sots. Nous, de notre côté, en regardant dans quelles mains sont tombées les guides qui menaient naguères, comme un quadrige, trois ou quatre feuilletons à la fois, nous avons eu la preuve de cette vérité qu’il importe de répéter aux hommes d’une époque, dupe des choses physiques : c’est qu’il est plus aisé de produire beaucoup de volumes que d’en écrire un seul avec éclat, délicatesse et profondeur. M. Eugène Sue, qui fut de cette école qu’on pourrait appeler les Pondeurs du XIXe siècle et dont les livres, il faut bien le dire, ne sont pas uniquement l’impulsion désintéressée de leur génie, doit donc, pour être compté en littérature, se réclamer de facultés plus hautes que celles qu’il partage avec les plus minces esprits de ce temps.

Malheureusement, de ces facultés, il n’y en a point dans M. Sue. Malgré le tapage qu’elles ont fait quelques jours, les siennes sont médiocres ; et nous le disons quand l’auteur des Sept Péchés capitaux est encore en possession d’une renommée dont le flot tout à l’heure va baisser. Ces facultés, en effet, ont le double caractère qui atteste la médiocrité foncière d’un esprit destiné à périr ; elles manquent de sincérité, et elles ont produit des choses trop vite populaires. « Les grands artistes, les grands écrivains, ne sont jamais instantanément populaires », disait Goethe, qui ne l’était pas, et qui s’en vantait. Si un jour la popularité leur arrive, ce n’est que tard, non sur leurs œuvres, que l’en-bas social comprend peu, mais sur leur nom, que d’en haut on lui a répété. Ils ont la popularité de la