Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 2.djvu/21

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ma fille. Ah ! il a tué des effants itou, le prêtre Judas ! Quoi ! sans menterie ! Les effants à qui ?… Ah ! tu m’ards de curiosité, la Malgaigne. Parle donc, que je le sache et que je le crie assassin dans tout Ouistreham[1], et que je puisse voir, avant de mourir, sa vieille tête tonsurée, raccourcie, comme celle au Marquand, — le vendeur de droguet, — par le tranchet du bourreau !

Et elle se tourna, forcenée, vers la Malgaigne, et elle secoua brusquement par sa jupe l’immobile Silencieuse, dont la cape noire tomba sur les épaules et découvrit son visage, plus blanc que ses cheveux et ses grands yeux pâles de fantôme.

Alors la Malgaigne :

— Laisse-le, — lui dit-elle d’une voix triste, avec une pitié presque auguste, — laisse-le, Julie ! et passe ton chemin, folle sans charité. Ne mets pas d’injure sur un cœur qui souffre. Le mal qu’il fait à sa fillette, par son impiété, ne te regarde pas.

— Ah ! est-ce que tu te repentirais de ce que tu as dit ? — fit la Gamase, trompée dans la curiosité de la haine. Est-ce que le cœur va te manquer ? Est-ce que tu vas caler parce qu’il est là… et qu’il nous écoute ? Mais parle !

  1. Dans tout le pays de l’ouest, mot normand.