Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/50

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portent des jupons : ils sont femmes. Si autrefois un homme ne se comptait que par le nombre de femmes écrites sur sa liste, les femmes d’aujourd’hui ne se comptent que par l’hécatombe de sots cotés en amoureux sur leurs chastes albums, et c’est ainsi que d’un siècle à l’autre les rôles ont été intervertis.

Cette idée sur les femmes et leur destination actuelle appartenait à M. de Maulévrier, et devait influer sur sa conduite. Jusque-là, du moins, elle y avait influé. Comme les coups de foudre n’existent pas pour les fils de ceux qui ont vu la révolution française, M. de Maulévrier, tout en retournant chez Mme de Gesvres, tout en s’imprégnant de plus en plus de la beauté et de l’esprit de cette femme, ne cessa de conserver les habitudes sous l’empire desquelles il était toujours demeuré. Il gardait sa pose éternelle d’homme du monde élégant, courtois, quoiqu’un peu railleur, mais, après tout, irréprochable. Malgré ses dehors introublés, M. de Maulévrier sentait cependant chaque soir davantage que cette belle créature, cette reine de causeuse et de canapé, exerçait sur lui une puissance que nulle femme n’avait exercée, même dans le temps qu’il était plus jeune et qu’il festonnait des romans en action sur les patrons de ceux qu’il lisait. Comment fallait-il appeler cette puissance ? Était-ce de l’amour ? À coup sûr, c’était de l’amour à son