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TRAGEDIE.

Dans un vaſe de ſang elle plonge une tête,
Et dit, à chaque fois, d’un ton mal aſſuré :
Saoule-toi de ce ſang dont tu fus alteré.
Tout tremble, tout frémit à ce diſcours horrible ;
Tout eſt ſaiſi, tout garde un ſilence terrible,
Le Soleil ſe couvrant d’un voile ténébreux,
Semble ſe refuſer à ce ſpectacle affreux.
Tomyris elle-même, autrefois ſi cruelle,
Oublie en ce moment ſa fureur naturelle ;
Et ſes yeux condamnant ſon projet inhumain,
N’oſent enviſager l’ouvrage de ſa main.
Hé ! quels yeux ſoutiendroient cet objet effroyable ?
Quel cœur juſqu’à ce point ſeroit impitoyable ?
Les traits de votre Amant dans le ſang confondus,
N’offrent plus qu’une plaie à mes ſens éperdus,
Et dans la juſte horreur dont mon ame eſt ſaiſie,
J’y cherche vainement le Vainqueur de l’Aſie.

Mandane.

Ah ! courons le venger.

Artabase.

Ah ! courons le venger. Vos vœux ſont ſatisfaits,
Les Scythes de leur ſang ont payé leurs forfaits ;
Et par nous Tomyris immolée à ſon ombre,
Des victimes ſans doute alloit croître le nombre ;
Mais d’un œil de mépris enviſageant la mort :
Je ſçaurai bien ſans vous diſpoſer de mon ſort,
Dit-elle ; & ſe livrant au tranſport qui l’inſpire,