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PREFACE

quelques-uns des ſpectateurs ; mais on a dû conſiderer dans quelle circonſtance de ſa vie je le mets ſur la ſcene, & quelle eſt la paſſion prédominante que je lui donne : la circonſtance eſt des plus triſtes, & la paſſion des plus violentes. C’eſt un ambitieux que je peins, & un ambitieux qui, comme il l’avoue lui-même, craint de perdre en un ſeul jour le fruit des travaux de pluſieurs années.

J’ajoute à cela que la Tragedie n’ayant point d’autre fin, ſelon Ariſtote, que de purger les paſſions, ce ſeroit les entretenir & les autoriſer, que de les montrer ſans les funeſtes ſuites qu’elles traînent après elles, & que chacun voudroit être ambitieux, ſi l’on pouvoit l’être impunément & avec tranquillité.

La derniere raiſon que j’apporte pour juſtifier l’agitation de Céſar, eſt que la terreur & la pitié étant l’ame de la Tragedie, je n’ai pas cru pouvoir inſpirer ces deux paſſions, en peignant Céſar inſenſible à ſes propres malheurs. On ne s’aviſe guéres de plaindre un homme qui ne ſe croit pas à plaindre, & l’on ne s’allarme pas pour lui quand on le voit tranquille.

On me reproche encore d’avoir fait Brutus plus grand que Jules Céſar ; mais pour peu qu’on y faſſe de reflexion, on verra que Brutus n’eſt grand qu’en ſecond, puiſque ce n’eſt