Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/10

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Cela m’ennuie d’être triste. Je me secoue. Qu’y a-t-il donc ? Il n’y a rien. Il n’y a que moi.

Je ne suis pas seul dans la vie comme je suis seul ce soir. L’amour a pris pour moi la figure et les gestes de ma petite Josette. Il y a longtemps que nous sommes ensemble ; il y a longtemps que, dans l’arrière-boutique de la maison de modes où elle travaille, à Tours, voyant qu’elle me souriait avec une persistance singulière, je lui ai saisi la tête et l’ai embrassée sur la bouche, ― et ai trouvé brusquement que je l’aimais.

Je ne me rappelle plus bien maintenant le bonheur étrange que nous avions à nous déshabiller. Il y a, il est vrai, des moments où je la désire aussi follement que la première fois ; c’est surtout quand elle n’est pas là. Quand elle est là, il y a des moments où elle me dégoûte.

Nous nous retrouverons là-bas, aux vacances. Les jours où nous nous reverrons avant de mourir, nous pourrions les compter… si nous osions.

Mourir ! L’idée de la mort est décidément la plus importante de toutes les idées.

Je mourrai un jour. Y ai-je jamais pensé ? Je cherche. Non, je n’y ai jamais pensé. Je ne peux pas. On ne peut pas plus regarder face à face la destinée que le soleil, et pourtant, elle est grise.

Et le soir vient comme viendront tous les soirs, jusqu’à celui qui sera trop grand.