Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/107

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— Tu parles d’un business que ça va être !

— Tout le corps d’armée qu’on commence d’embarquer a c’soir !

— Tiens, en v’là qui arrivent.

Un nuage, qui couvrait un tremblement bruyant de roues et un roulement de sabots de chevaux, approchait, grossissant dans l’avenue de la gare qu’on embrassait par l’enfilée des constructions.

— Y a déjà des canons d’embarqués.

Sur des wagons plats là-bas, entre deux longs dépôts pyramidaux de caisses, on voyait, en effet, des profils de roues, et des becs effilés de pièces. Caissons, canons et roues étaient bariolés, tigrés, de jaune, de marron et de vert.

— I’s sont camouflés. Là-bas, y a bien des chevaux qui sont peints. Tiens, pige çui-là, là, qu’a les pattes larges et qu’on dirait qu’il a des pantalons ? Eh ben, l’était blanc et on y a foutu une peinture pour qu’i’ change sa couleur.

Le cheval en question se tenait à l’écart des autres, qui semblaient s’en méfier, et présentait une teinte grisâtre jaunâtre, manifestement mensongère.

— L’pauv’ bougre ! dit Tulacque.

— Tu vois, les bourins, dit Paradis, non seulement on les fait tuer, mais on les emmerde.

— C’est pour leur bien, que veux-tu !

— Eh oui, nous aussi, c’est pour not’ bien !

Sur le soir, des soldats arrivèrent. De tous côtés, il en coulait vers la gare. On voyait des gradés sonores courir sur le front des files. On limitait les débordements d’hommes et on les enserrait le long des barrières ou dans des carrés palissadés, un peu partout. Les hommes formaient les faisceaux, déposaient leurs sacs et, n’ayant pas le droit de sortir, attendaient, enterrés côte à côte dans la pénombre.

Les arrivées se succédaient avec une ampleur croissante, à mesure que le crépuscule s’accentuait. En même