Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/116

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souliers. Ils s’arrêtèrent comme un seul homme en apercevant le profil d’Eudore.

— V’là Eudore ! Eh ! Eudore ! Eh ! cette vieille noix, c’est donc que t’es r’venu ! s’écrièrent-ils ensuite, en s’élançant vers lui, et en lui tendant leurs mains aussi grosses que s’ils portaient des gants de laine rousse.

— Bonjour, les enfants, dit Eudore.

— Ça s’est bien tiré ? Quoi qu’tu dis, mon gars, quoi ?

— Oui, répondit Eudore. Pas mal.

— Nous v’nons d’corvée de vin ; nous avons fait not’ plein. On va rentrer ensemble, pas ?

Ils descendirent à la queue leu-leu le talus de la route et s’en allèrent bras dessus bras dessous à travers le champ enduit d’un mortier gris où la marche faisait un bruit de pâte brassée au pétrin.

— Comme ça, t’as vu ta femme, ta petite Mariette, pisque tu n’vivais que pour ça, et que tu n’pouvais pas ouvrir ton bec sans nous visser un ours à propos d’elle !

La figure pâlotte d’Eudore se pinça.

— Ma femme, je l’ai vue, bien sûr, mais une petite fois seulement. Y a pas eu plan d’avoir mieux. C’est pas d’veine, j’dis pas, mais c’est comme ça.

— Comment ça ?

— Comment ! Tu sais que nous habitons Villers-l’Abbé, un hameau de quatre maisons ni plus ni moins, à cheval sur une route. Une de ces maisons, c’est justement notre estaminet, qu’elle tient ou plutôt qu’elle retient depuis que l’patelin n’est plus amoché par le marmitage.

» Et alors, en vue d’une permission, elle avait demandé un laissez-passer pour Mont-Saint-Éloi, où sont mes vieux, et moi, ma perme était pour Mont-Saint-Éloi. Tu saisis la combine ?

» Comme c’est une petite femme de tête, tu sais, elle avait demandé son laissez-passer bien avant la date qu’on croyait de mon départ en perme. Quoique ça, mon départ est arrivé, si j’peux dire, avant qu’elle ait eu son autori-