Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sation. J’suis parti tout d’même : tu sais qu’à la compagnie faut pas louper son tour. J’suis donc resté avec mes vieux à attendre. J’les aime bien, mais j’faisais tout de même la gueule. Eux, ils étaient contents de me voir et embêtés de m’voir embêté dans leur compagnie. Mais qu’y faire ? À la fin du sixième jour – à la fin d’ma perme, la veille de rentrer ! – un jeune homme en vélo – l’fils Florence – m’apporte une lettre de Mariette, qu’elle n’avait pas encore son laissez-passer… »

— Ah ! malheur ! exclamèrent les interlocuteurs.

— … mais, continua Eudore, qu’y avait qu’une chose à faire, c’était que j’demand’, moi, la permission au maire de Mont-Saint-Éloi, qui d’mand’rait à l’autorité militaire, et que j’aille de ma personne, et au galop, à Villers, la voir.

— Il aurait fallu faire ça l’premier jour, et pas l’sixième !

— Videmment, mais j’avais peur d’m’croiser avec elle et d’la louper, vu que, dès mon arrivée, j’l’attendais toujours, et qu’à chaque instant j’pensais la voir dans la porte ouverte. J’ai fait c’qu’elle me disait.

— En fin de compte, t’l’as vue ?

— Qu’un jour, ou plutôt qu’une nuit, répondit Eudore.

— Ça suffit ! s’écria gaillardement Lamuse.

— Eh oui ! renchérit Paradis. En une nuit, un zigotteau comme toi, ça en fait, et même ça en prépare, du boulot !

— Aussi, vise-le, c’t’air fatigué ! Tu parles d’une louba qu’i’ s’est envoyée, ce va-nu-pieds-là ! Ah ! charogne, va !

Eudore secoua sa figure pâle et sérieuse sous l’averse des quolibets scabreux.

— Les gars, bouclez-les cinq minutes, vos grandes gueules.

— Raconte-nous ça, petit.

— C’est pas une histoire, dit Eudore.

— Alors, tu disais que t’avais l’cafard entre tes vieux ?