Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/118

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— Eh oui ! I’s avaient beau essayer de m’remplacer Mariette avec des belles tranches de notre jambon, de l’eau-de-vie de prune, des raccommodages de linge et des petites gâteries… (Et même j’ai r’marqué qu’i’s s’ret’naient de s’engueuler comme d’habitude.) Mais tu parles d’une différence ; et c’était toujours la porte que j’regardais pour voir si des fois elle remuerait pas et s’changerait en femme. J’ai donc visité l’maire et je m’suis mis en route, hier, vers les deux heures de l’après-midi — vers les quatorze heures, j’peux bien dire putôt, vu que j’comptais bien les heures depuis la veille ! J’avais donc plus juste qu’une nuit d’permission !

» En approchant, à la brune, par la portière du wagon du petit chemin de fer qui marche encore là-bas sur des bouts de voie, je r’connaissais à moitié le paysage et à moitié je le r’connaissais pas. Je l’sentais par-ci par-là tout d’un coup qui s’refaisait et se fondait dans moi comme si il s’mettait à m’parler. Puis, i’ s’taisait. À la fin, on a débarqué, et il a fallu, c’qu’est un comble, aller à pied jusqu’à la dernière station.

» Jamais, mon vieux, jamais j’ai eu temps pareil : six jours qu’i’ pleuvait ; six jours que le ciel i’ lavait la terre et la r’lavait. La terre s’amollissait et s’bougeait et allait dans des trous et en f’sait d’autres. »

— Ici aussi. La pluie n’a pas décessé que c’matin.

— C’est bien ma veine. Aussi partout des ruisseaux grossis et nouveaux qui venaient effacer comme des lignes sur le papier, la bordure des champs ; des collines qui coulaient depuis le haut jusqu’en bas. Des coups de vent qui faisaient dans la nuit, tout d’un coup, des nuages de pluie passant et roulant au galop et nous cinglant les pattes, et la figure et l’cou.

» C’est égal, quand j’ai arrivé pédibus à la station, il en aurait fallu un qui fasse une rudement laide grimace pour me faire retourner en arrière !

» Mais v’là-t-i’ pas qu’en arrivant au pays, on était plusieurs : d’autres permissionnaires, qui n’allaient pas à