Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

allés à la recherche d’un brasero. Ils reviennent de cette expédition, complètement bredouilles, hargneux et farouches : « Pas l’ombre d’un fourneau. D’ailleurs ni bois ni charbon, même en se ruinant pour. »

Impossible d’avoir du feu.

— La commande, elle est loupée, et là où j’ai pas réussi, personne réussira, dit Barque avec un orgueil que cent exploits justifient.

On reste immobiles, on se déplace lentement, dans le peu d’espace qu’on a, assombris par tant de misère.

— À qui c’journal ?

— Ch’est à mi, dit Bécuwe.

— Qu’est-c’qui chante ? Ah, zut, on peut pas lire dans c’te nuit !

— I’s disent comme cha, qu’à ch’t’heure, on a fait tout ch’qu’i’ fallait pour l’soldats, et les récaufir dans s’tranchées. I’s ont toudi ch’qu’i leur faut, et d’lainages, et d’kemises, d’fourneaux, d’brasos et d’carbon à pleins tubins. Et qu’ch’est comme cha dans l’tranchées d’première ligne.

— Ah ! tonnerre de Dieu ! ronchonnent quelques-uns des pauvres prisonniers de la grange, et ils montrent le poing au vide du dehors et au papier du journal.


Mais Fouillade se désintéresse de ce qu’on dit. Il a plié dans l’ombre sa grande carcasse de don Quichotte bleuâtre et tendu son cou sec tressé de cordes à violon. Quelque chose est là, par terre, qui l’attire.

C’est Labri, le chien de l’autre escouade.

Labri, vague berger mâtiné à queue coupée, est couché en rond sur une toute petite litière de poussière de paille.

Il le regarde et Labri le regarde.

Bécuwe s’approche et, avec son accent chantant des environs de Lille :

— Il minge pas s’pâtée. Il va pas, ch’tiot kien. Eh ! Labri, qu’ch’qu’to as ? V’là tin pain, tin viande. R’vêt’ cha.