Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/157

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

retombe dans le présent, et continue à frissonner.

Deux pas de ses longues jambes le font buter sur un groupe où, pour se distraire et se consoler, à mi-voix on parle mangeaille.

— Chez moi, dit quelqu’un, on fait des pains immenses, des pains ronds, grands comme des roues de voiture, tu parles !

Et l’homme se donne la joie d’écarquiller les yeux tout grands, pour voir les pains de chez lui.

— Chez nous, intervient le pauvre Méridional, les repas de fêtes sont si longs, que le pain, frais au commencement, est rassis à la fin !

— Y a un p’tit vin… I’ n’a l’air de rien, ce p’tit vin d’chez nous, eh bien, mon vieux, s’i’ n’a pas quinze degrés, il n’en a pa’ un !

Fouillade parle alors d’un rouge presque violet, qui supporte bien le coupage, comme s’il avait été mis au monde pour ça.

— Nous, dit un Béarnais, y a l’jurançon ; mais l’vrai, pas c’qu’on t’vend pour jurançon et qui vient d’Paris. Moi, j’connais un des propriétaires justement.

— Si tu vas par là, dit Fouillade, j’ai chez moi les muscats de tout genre, de toutes les couleurs de la gamme, tu croirais des échantillons d’étoffes de soie. Tu viendrais chez moi un mois d’temps que j’t’en f’rais goûter chaque jour du pas pareil, mon pitchoun.

— Tu parles d’une noce ! dit le soldat reconnaissant.

Et il arrive que Fouillade s’émotionne à ces souvenirs de vin où il se plonge et qui lui rappellent aussi la lumineuse odeur d’ail de sa table lointaine. Les émanations du gros bleu et des vins de liqueur délicatement nuancés lui montent à la tête, parmi la lente et triste tempête qui sévit dans la grange.

Il se remémore brusquement qu’établi dans le village où l’on cantonne est un cabaretier originaire de Béziers. Magnac lui a dit : « Viens donc me voir, mon camarade,