Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/16

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Dans la grande guitoune, à côté du passage souterrain, mon vieux, tu parles s’il y a quelque chose comme mie de pain mécanique ! On les voit courir dans la paille comme je te vois.

— Qui ça a attaqué, les Boches ?

— Les Boches et nous aussi. C’était du côté de Vimy. Une contre-attaque. T’as pas entendu ?

— Non, répond pour moi le gros Lamuse, l’homme-bœuf. J’ronflais. Faut dire que j’ai été de travaux de nuit, l’autre nuit.

— Moi, j’ai entendu, déclare le petit Breton Biquet. J’ai mal dormi, pas dormi pour mieux dire. J’ai une guitoune individuelle. Ben, tenez, la v’là, c’te putain-là.

Il désigne une fosse qui s’allonge à fleur du sol, et où, sur une mince couche de fumier, il y a juste la place d’un corps.

— Tu parles d’une installation à la noix, constate-t-il en hochant sa rude petite tête pierreuse qui a l’air pas finie, j’ai presque point roupillé : j’étais parti pour, mais j’ai été réveillé par la relève du 129e qui a passé par là. Pas par le bruit, par l’odeur. Ah ! tous ces gars avec leurs pieds à hauteur de ma gueule ! Ça m’a réveillé, tellement ça me faisait mal au nez.

Je connais cela. J’ai souvent été réveillé, moi, dans la tranchée, par le sillage de senteur épaisse qu’une troupe en marche traîne avec elle.

— Si ça tuait les gos, seulement, dit Tirette.

— Au contraire, ça les excite, observe Lamuse. Plus t’es dégueulasse, plus tu cocotes, plus t’en as.

— Et c’est heureux, poursuit Biquet, qu’ils m’ont réveillé en m’emboucanant. Comme je l’racontais tout à l’heure à c’gros presse-papier, j’ai ouvert les carreaux juste à temps pour me cramponner à ma toile de tente qui fermait mon trou et qu’un de ces fumiers-là parlait de m’grouper.

— C’est des crapules dans c’129-là.

On distinguait, au fond, à nos pieds, une forme humaine