Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/160

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de poux, mais, affaibli par le froid et l’humidité, il n’a pas le courage de changer de linge, et il reste là, sombre, immobile et mangé…

À mesure qu’on approche, malgré tout, de cinq heures du soir, Fouillade recommence à s’enivrer de son rêve de vin, et il attend, avec cette lueur à l’âme.

— Quelle heure est-il ?… Cinq heures moins un quart… Cinq heures moins cinq… Allons !

Il est dehors dans la nuit noire. Par grands sautillements clapotants, il se dirige vers l’établissement de Magnac, le généreux et loquace Biterrois. Il a grand-peine à trouver la porte dans le noir et la pluie d’encre. Bou Diou, elle n’est pas éclairée ! Bou Diou d’bou Diou, elle est fermée ! La lueur d’une allumette, qu’abrite sa grande main maigre comme un abat-jour, lui montre la pancarte fatidique : « Établissement consigné à la troupe. » Magnac, coupable de quelque infraction, a été exilé dans l’ombre et l’inaction !

Et Fouillade tourne le dos à l’estaminet devenu la prison du cabaretier solitaire. Il ne renonce pas à son rêve. Il ira ailleurs, ce sera du vin ordinaire, et il paiera, voilà tout.

Il met la main dans sa poche pour tâter son porte-monnaie. Il est là.

Il doit avoir trente-sept sous. Ce n’est pas le Pérou, mais…

Mais subitement, il sursaute et s’arrête net en s’envoyant une claque sur le front. Son interminable figure fait une affreuse grimace, masquée par l’ombre.

Non, il n’a plus trente-sept sous ! Hé, couillon qu’il est ! Il avait oublié la boîte de sardines qu’il a achetée la veille, tellement les macaroni gris de l’ordinaire le dégoûtaient, et les chopes qu’il a payées aux cordonniers qui lui ont remis des clous à ses brodequins.

Misère ! Il ne doit plus avoir que treize sous !

Pour arriver à s’exciter comme il convient et à se venger de la vie présente, il lui faudrait bien un litre et