Aller au contenu

Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/183

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de sa botte, ce bout de voie abandonné, et sourit :

— Ça, c’est notre chemin de fer. C’est un tortillard, qu’on appelle. Ça doit vouloir dire « qui se grouille pas ». I’ n’allait pas vite ! Un escargot y aurait tenu le pied ! On le refera. Mais il n’ira pas plus vite, certainement. Ça lui est défendu !

Quand nous arrivâmes en haut de la côte, il se retourna et jeta un dernier coup d’œil sur les lieux massacrés que nous venions de visiter. Plus encore que tout à l’heure, la distance recréait le village à travers les restes d’arbres qui, diminués et rognés, semblaient de jeunes pousses. Mieux encore que tout à l’heure, le beau temps disposait sur ce groupement blanc et rose de matériaux d’une apparence de vie et même un semblant de pensée. Les pierres subissaient la transfiguration du renouveau. La beauté des rayons annonçait ce qui serait, et montrait l’avenir. La figure du soldat qui contemplait cela s’éclairait aussi d’un reflet de résurrection. Le printemps et l’espoir y déteignaient en sourire ; et ses joues roses, ses yeux bleus si clairs et ses sourcils jaune d’or avaient l’air peints de frais.

On descend dans le boyau. Le soleil y donne. Le boyau est blond, sec et sonore. J’admire sa belle profondeur géométrique, ses parois lisses polies par la pelle, et j’éprouve de la joie à entendre le bruit franc et net que font nos semelles sur le fond de terre dure ou sur les caillebotis, petits bâtis de bois posés bout à bout et formant plancher.

Je regarde ma montre. Elle me fait voir qu’il est neuf heures ; et elle me montre aussi un cadran délicatement colorié où se reflète un ciel bleu et rose, et la fine découpure des arbustes qui sont plantés là, au-dessus des bords de la tranchée.

Et Poterloo et moi nous nous regardons également, avec une sorte de joie confuse ; on est content de se voir,