Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/185

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sonne comme les flancs d’un beau cheval vivant, nous aboutissons dans notre tranchée de la route de Béthune.

Voici notre emplacement. Les camarades sont là, groupés. Ils mangent, jouissent de la bonne température.

Le repas fini, on nettoie les gamelles ou les assiettes en aluminium avec un bout de pain…

— Tiens, y a plus de soleil !

C’est vrai. Un nuage s’étend et l’a caché.

— I’va même flotter, mes petits gars, dit Lamuse.

— Voilà bien notre veine ! Justement pour le départ !

— Sacré pays, milédi ! dit Fouillade.

Le fait est que ce climat du Nord ne vaut pas grand-chose. Ça bruine, ça brouillasse, ça fume, ça pleut. Et, quand il y a du soleil, le soleil s’éteint vite au milieu de ce grand ciel humide.

Nos quatre jours de tranchées sont finis. La relève aura lieu à la tombée du soir. On se prépare lentement au départ. On remplit et on range le sac, les musettes. On donne un coup au fusil et on l’enveloppe.

Il est déjà quatre heures. La brume tombe vite. On devient indistincts les uns aux autres.

— Bon sang, la voici, la pluie !

Quelques gouttes. Puis c’est l’averse. Oh ! là là là ! On ajuste des capuchons, des toiles de tente. On rentre dans l’abri en pataugeant et en se mettant de la boue aux genoux, aux mains et aux coudes, car le fond de la tranchée commence à être gluant. Dans la guitoune, on a à peine le temps d’allumer une bougie posée sur un bout de pierre, et de grelotter autour.

— Allons, en route !

On se hisse dans l’ombre mouillée et venteuse du dehors. J’entrevois la puissante carrure de Poterloo : Nous sommes toujours à côté l’un de l’autre dans le rang. Je lui crie quand on se met en marche :

— Tu es là, mon vieux ?

— Oui, d’vant toi, me crie-t-il en se retournant.

Il reçoit dans ce mouvement une gifle de vent et de