Page:Barbusse - Le Feu : journal d’une escouade.djvu/204

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et je m’fous des boniments que tu m’balances. J’te dis et j’te répète que, pour allumer un feu, j’suis là, mais pour l’rallumer quand i’ s’a éteint, ça n’a rien à faire. J’peux pas mieux dire.

Je n’entends pas l’insistance de Poilpot.

— Mais bougre de nom de Dieu d’entêté, râle Poitron, pis que j’te dis trente fois que j’sais pas. Faut-i’ qu’i’ soye tête de cochon, tout de même !

— C’est marrant, c’t’écoutation-là, me confie Marthereau.

En vérité, tout à l’heure, il a parlé trop vite.

Une certaine fièvre, provoquée par les libations des adieux, règne dans le taudis plein de paille nuageuse où la tribu – les uns debout et hésitants, les autres à genoux et tapant comme des mineurs – répare, empile, assujettit ses provisions, ses hardes et ses outils. Un grondement de paroles, un désordre de gestes. On voit saillir dans les lueurs enfumées, des reliefs de trognes, et des mains sombres remuer au-dessus de l’ombre, comme des marionnettes.

De plus, dans la grange attenante à la nôtre, et qui n’en est séparée que par un mur à hauteur d’homme, s’élèvent des cris avinés. Deux hommes, là, se prennent à partie avec une violence et une rage désespérées. L’air vibre des plus grossiers accents qui soient ici-bas. Mais l’un d’eux, un étranger d’une autre escouade, est expulsé par les locataires, et le jet d’injures de l’autre s’affaiblit et s’éteint.

— Tant qu’à nous, on s’tient ! remarque Marthereau avec une certaine fierté.

C’est vrai. Grâce à Bertrand, obsédé par la haine de l’alcoolisme, de cette fatalité empoisonnée qui joue avec les multitudes, notre escouade est une de celles qui sont le moins viciées par le vin et la gniole.

… Ils crient, ils chantent, ils extravaguent tout autour. Et ils rient sans fin ; dans l’organisme humain, le rire fait un bruit de rouage et de chose.